Dans une mise en projet, deux émotions s'équilibrent : peur de perdre et joie d'acquérir.
Partie 1 : Source et comportements de la peur.
En effet, aussi attrayant que soit un objectif (développer une nouvelle activité, découvrir un nouveau lieu, rencontrer une nouvelle personne...), un pro-jet implique de se jeter vers quelque chose qui n'est pas encore là.
Quitter un confort* connu (et. qui donne force) pour quelque chose d'incertain, un inconnu.
Cette peur peut se découper en différents types, allant des mieux repérés ("peur de l'échec" / "peur de l'inconnu"), aux moins identifiés ("peur de la réussite" / "peur de la liberté").
Dès les années 70, la Dr Kübler-Ross proposait dans son travail sur le deuil que la plupart des peurs s'enracinaient dans la peur de la mort qui symboliquement représente LA grande inconnue.
À bien y regarder effectivement, échec, réussite ou liberté sont des peurs très souvent associées à la peur du jugement.
Or, chez une espèce aussi sociale que l'humain, pour qui est génétiquement encodé le lien "sécurité = appartenance", la menace d'exclusion du groupe revient à une menace de mort.
Le poids du regard social est d'ailleurs si important pour la culture occidentale qu'elle a décidé de nommer ainsi le point de départ du processus d'appartenance :
et. famille, fama "réputation".
Mort, souffrance et abandon sont donc bien souvent les très communes et très puissantes sources de nos peurs quotidiennes : avant de prendre la parole en public, refuser notre aide à quelqu'un, au moment de demander une faveur...
Quel que soit l'origine de cette peur, elle se caractérise habituellement par 3 familles de comportements :
Panique (agitation, stress, oubli, confusion),
Opposition (reproche, critique, agressivité),
Retrait (non participation, silence, isolement),
Ces 3 postures, aussi appelées FUITE, LUTTE et REPLI, sont 3 comportements réflexes, génétiquement programmés dans notre système nerveux sympathique pour faire face à un danger.
Elles font également partie des fameuses "étapes du deuil" par lesquelles peut passer un grand pourcentage de la population quand il fait face à un deuil ou plus généralement un changement :
"Nooooooooonn, C'EST PAS POSSIBLE !!!!" : Déni (fuite).
"Fait ch*** p***** !! Ils pouvaient pas faire autrement ???!!!" : Colère-négociation (lutte).
"On y arrivera jamais, je suis dégoûté." : Abattement (repli).
Partie 2 : Joie et peur pour créer et répéter
Dans les mouvements collectifs, les émotions PEUR et JOIE se traduisent par deux principes bien connus et sans cesse en balance : révolution ou évolution.
En effet, quand la peur prend la plus grande part, nous recherchons souvent la sécurité en RÉPÉTANT des comportements connus et rassurants = révolutions (et."retour de").
Quand la joie l'emporte à l'inverse, nous nous laissons aller à la découverte et à l'expérimentation en CRÉANT de nouvelles dispositions : évolution (et. "dérouler").
De la cellule à la galaxie, soit nous répétons pour "reproduire du MÊME", soit nous créons pour "produire du NOUVEAU". Un peu comme si ce que nous appelons "peur" était en réalité la force "conservatrice" de l'univers et la "joie", son énergie de déploiement.
La majeure partie du temps, cette répartition entre peur et joie, entre répétition et création s'opère automatiquement et de façon inconsciente.
Il arrive par contre qu'à l'approche d'une étape importante, nous assistions à des régressions : frénésie (fuite), opposition (lutte) ou sidération (repli) qui apparaissent comme les indicateurs d'un danger imminent, une CRISE. Idéologies mises à part, ces comportements sont souvent à comprendre comme une simple prise d'élan : Avant un "grand saut", nous revenons sur nos pas pour reprendre un appui solide (dans le passé) et ainsi nous positionner de façon plus juste (dans le présent) et déterminer avec sérénité un objectif (dans le futur). Quand les origines d'une personne ou d'un groupe demeurent floues. Quand ses règles de fonctionnement au quotidien sont incohérentes ou quand enfin, sa destination est incertaine, la peur s'active et avec elle son lot de réactions de protection.
Là se pose alors LA cruciale question du pédagogue (du leader, de l'éducateur, du manager, du parent) : agir en douceur ou en force ?
Quand l'équilibrage entre répétition (peur) et création (joie) s'effectue en douceur, dans un contexte de confiance, l'évolution s'opère naturellement, sans presque que l'on y prête attention.
Quand au contraire cet équilibrage s'opère brutalement, les forces en présence se protègent, se rigidifient et apparaissent alors les différentes formes de violence et leur principal indicateur, la souffrance.
Ce que nous appelons CRISE n'est bien souvent que la prise de conscience d'un état de souffrance déjà là.
Partie 3 : Aligner l'idée, le sentiment et l'action, mise en pratique en 3 temps.
1) Avant d'aborder la question des idées et celle des actes, il faut souvent commencer par créer ou recréer le LIEN entre les membres du groupe, c'est-à-dire de générer un contexte d'échange où les sentiments de SÉCURITÉ et de CONFIANCE sont majoritairement partagés.
Sans cela, les inévitables passifs (frustrations, incompréhensions, rancœurs, non-dits, injustices...) constituent autant de DANGERS d'agressions futures et donc des freins à l'échange et à la mise en expérimentation à venir.
Une préparation à la mise en projet consiste donc à renforcer cette qualité de lien ex : médiatiser des espaces d'échanges confidentiels, former aux pratiques d'une COMMUNICATION saine et efficace, pratiquer les outils de l'ÉCOUTE et de la RECONNAISSANCE.
2) Dans un deuxième temps ou de façon parallèle au premier, l'idée est de compenser la peur de l'inconnu en littéralement remplir les zones aveugles.
En sollicitant un maximum de CRÉATIVITÉ de la part des participants, l'objectif est de satisfaire leurs besoins cognitifs de SENS, c'est-à-dire de "POURQUOI?" et de SCIENCE, c'est-à-dire de "COMMENT?".
Pour nous aider à cela, nous pouvons par exemple nous inspirer des travaux d'Howard Gardner et de ses intelligences multiples pour dessiner, chanter, cartographier, illustrer, raconter, calculer l'OBJECTIF (sens de la démarche) et la MÉTHODE (chemin à emprunter pour arriver à destination).
Sur la base de ces espaces de confiance et de partage cités plus haut, ces activités de "visualisation commune" et de "mise en forme" agissent comme un levier, équilibrant ainsi la PEUR de la perte par la JOIE de l'acquisition nouvelle.
3) Une fois clarifiés l'identité du groupe (son passé), ses comportements (son présent) et ses objectifs (son futur), ne reste qu'à construire des supports opérationnels, c'est-à-dire des documents simples, légers et pratiques, auquel chacun puisse faire référence au quotidien.
Ainsi collectivement construites et formalisées, les règles de vie de l'équipe cessent souvent d'être vécues comme une série d'obligations imposées pour devenir un cadre de responsabilité partagé.
Dans la joie et la bonne humeur (autant que faire se peut).
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