« Je ne suis pas reconnu à ma juste valeur », « les autres ont obtenu leur pouvoir par privilège », « je ferais bien mieux à leur place », « les autres abusent de ma gentillesse »
La semaine dernière nous avons abordé ce que certains courants de psychologie nomment le trait « anxieux ». Aujourd’hui, nous verrons les différents aspects que peut revêtir le trait appelé “ passif-agressif”.
Comment ce trait fonctionne-t-il au quotidien ?
Entre timidité, plainte et traînage de pied systématique, le spectre comportemental de ce trait est étendu. Il peut se présenter d’abord par une moue d’aigreur, d’amertume et d’insatisfaction.
Dans ce cas les plaintes sont régulières tout comme le sont les réflexions ambivalentes : « elle est nouvelle cette chemise ? C’est particulier comme couleur, non ? ».
Une tendance à ne jamais faire exactement ce qui est demandé, ni dans la forme, ni dans les délais fixés. En effet, une demande est souvent comprise comme un abus de pouvoir et génère une résistance à faire ou plutôt un « je ferai quand et comme je le veux ».
L’oubli d’un « bonjour » ou d’un « s’il te plait » peut offenser profondément la personne et déclencher une longue bouderie et le désir de vengeance.
A l’autre bout du spectre, l’apparence peut être sympathique, à l’écoute et accommodante. La personne peut s’intéresser à nos vies et nous poser des questions sur nos activités personnelles.
Elle se propose de nous aider ou de prendre sous sa responsabilité le stagiaire ou l’apprenti fraichement débarqué.
Cette situation revêt pourtant un danger : la rumeur et la calomnie. En effet, récupérer des informations personnelles lui permet souvent de les diffuser « sous le manteau » à d’autres en notre absence et après une forte « réinterprétation » des faits.
Passer du temps avec les jeunes ou des personnes nouvellement arrivées, lui permet de distiller de l’information souvent négative, les cancans internes, les éventuels « passe-droit » des uns et privilèges des autres.
Quand nous ne sommes pas au bureau, nous sommes sans doute chez le coiffeur. Si nous sommes arrivés à ce poste, c’est plutôt grâce à nos relations que nos compétences. La jalousie est de mise.
Sur quel système de croyance se déploie ce trait ?
« Je ne suis pas reconnu à ma juste valeur », « les autres ont obtenu leur pouvoir par privilège », « je ferais bien mieux à leur place », « les autres abusent de ma gentillesse », « il est trop dangereux de dire les choses directement aux personnes », « ils savent bien ce que j’attends, mais ils s’en fichent ».
Ce trait pense régulièrement qu’il est trop risqué de dire les choses directement. Le conflit ouvert est dangereux. Pour cette raison, il a tendance à « garder pour lui » et à accumuler rancunes et rancœurs.
Une autre croyance commune à ce trait consiste à penser que ses états intérieurs, ses incommodités et ses attentes sont évidentes pour tous et que tous (surtout les hiérarchiques) devraient en être conscients et y pourvoir.
Face au manque de réactions, la croyance peut aller de « ils sont incompétents » à « ils sont injustes ». Bloquer dans cette impasse mentale, il ne reste plus que le sabordage et la diffamation comme possibilité d’action.
D’où cela vient-il ? (Ambiance originelle)
Position parentale ambivalente alternant preuves d’affection et de rejet. L’amour et la confiance sont conditionnels et compris comme peu sûrs. Situations de divorce et de conflit où l’enfant est tour à tour pris à parti puis délaissé.
Cadre rigide interdisant l’opposition ou utilisant une position de « martyr », alternant des formes froides de colère ou des expressions chantagières : « tu vois comment ce que tu fais me blesse ? ».
Situation de familles rejetées ou ayant vécu des situations de persécution.
Quel nom porte ce trait dans d’autres grilles de lecture ?
Pour l’aspect distant vis-à-vis des émotions des autres et le fait de privilégier sa vie intérieure, il peut parfois ressembler au 5 de l’ennéagramme.
Peut alterner des styles d’attachement anxieux (demande de reconnaissance), évitant (mépris des ressentis des autres) et désordonnés (oscillant de l’un à l’autre) en fonction de l’agitation interne et des conflits relationnels avoisinants.
En spirale dynamique, ce trait peut ressembler au violet dans sa recherche de liens « claniques » et au rouge dans la froideur avec laquelle il peut traiter ses « ennemis ».
Les hypersensibilités mentales et imaginatives (Dabrowski) sont peut-être les plus consciemment expérimentées par ce trait. Néanmoins les ruminations constantes s’accompagnent souvent de grandes réactivités émotionnelles contenues (colère).
Le Misanthrope de Molière est un exemple parlant de ce fonctionnement.
Ou les trouvons-nous ?
Du fait de ses nombreuses facettes, ce trait se retrouve à tous les niveaux de la société occidentale.
Peu à son aise dans le changement tous azimuts, dans les milieux de grande transparence ou dans des organisations horizontales, il est plus commun de rencontrer ce trait dans des services administratifs publiques et privés très hiérarchisés.
Quand le trait est stabilisé, il peut trouver sa place dans la défense des droits (ex : prud’homm, syndics) ou des instances de négociation (politiques publiques, conseils) qui lui apporte la valorisation qu’il recherche.
En quoi ce fonctionnement est-il difficile ?
La plainte : se plaindre ou passer pour la victime dans les situations, présente plusieurs avantages. Se sortir de situation de responsabilisation par exemple. Avoir à disposition un faisceau de sujets de plainte permet de générer une myriade d’arguments en cas de problème.
Rumination et auto-conditionnement : Oscillant entre la posture de la victime et celle du justicier, la personne tourne en boucle sur les injustices du quotidien, refaisant l’histoire jusqu’à se convaincre elle-même que l’Autre est un dangereux tortionnaire.
Somatisation : feinte ou réelle, ce trait peut en arriver à tomber malade ou à sombrer dans l’hypocondrie (se croire malade ou atteint de troubles divers) qu’il utilise généralement pour justifier son comportement. Plus la pression extérieure et émotionnelle est forte et plus les « maladies » apparaissent.
Ne pas pouvoir se confronter : l’une des difficultés premières que présente ce trait est la grande difficulté à parler ouvertement et à s’expliquer une bonne fois pour toute.
Y compris quand la personne est prise « la main dans le sac », elle nie les faits (déni), argumente avec énergie un malentendu ou la faute d’un autre (« c’est pas moi, c’est l’autre »). Les « je ne vois pas ce que tu veux dire » sont réguliers.
La fuite ambigüe : une fois « démasquée », la personne peut se réfugier dans des arrêts maladie à répétition (fuite) mais sans jamais démissionner ou partir réellement. En effet, « ce n’est pas de sa faute ».
Une ambiance délétère : par contamination, l’amertume, les empêchements ou la rumeur affecte l’ambiance générale la rendant inquiétante ou pesante.
L’art de la guerre (ou l’art de la « tromperie », selon Sun Tzu) : quand le conflit est engagé (sans forcément que nous en soyons informés) ou que la personne a accédé à un certain pouvoir, ce trait ressemble à ce que la littérature contemporaine décrit sous l’appellation « pervers narcissique », s’inscrivant dans une manipulation permanente (« faux-self ») et insensible aux ravages qu’elle génère chez les autres (« ils l’ont bien mérité »).
Que faire avec quand nous sommes en relation ?
Respecter le décorum : les « bonjours », « s’il te plaît », « merci » et « au revoir » sont tout autant de petites formes d’attention quotidiennes qui participent au message « tu existes pour moi et je te reconnais ».
Dans le même sens, les entretiens fréquents assurent la prise de température et l’ouverture d’espaces de « décharge », utiles pour recueillir les frustrations ou les interprétations erronées.
Des formes personnalisées et ouvertes de valorisation : confier des responsabilités ou des projets spécifiques en concordance avec son expérience et ses qualités maintient son attention sur le positif (réaliser des points d'étape fréquents). La remercier et la complimenter ouvertement en public.
La règle du « gagnant-gagnant » : quand nous lui demandons quelque chose, commencer la proposition par le bénéfice que la personne obtiendra à travers cette requête.
Faire de la plainte un levier : utiliser les remontrances et les pointages de « ça ne va pas » comme des invitations à la suggestion ou à prendre un temps avec elle pour chercher ensemble comment pourrait s’améliorer la situation.
Pratiquer la communication transversale : que ce soit au travers d’un agenda mutualisé, de groupes WhatsApp, de briefs express distanciels ou présentiels, l’idée est que la même information arrive à tout le monde, en même temps, tout le temps pour réduire les espaces d’interprétation.
Quand le conflit est engagé : éviter les échanges seul à seul avec la personne qui seront systématiquement réinterprétés (« tout ce que vous direz sera retenu contre vous »). Un tiers témoin à vos échanges téléphoniques, physiques ou mails est nécessaire.
Confier des missions solitaires ou organiser des binômes avec des personnes ayant très peu d’intérêts pour les commérages et la plainte (trait schizoïde, perfectionniste, type-A).
Utiliser ce trait comme un thermomètre : les plaintes ou attaques que pointe ce trait sont souvent révélateurs de ce qui n’est « pas claire » ou « pas juste » d’une posture personnelle, hiérarchique ou organisationnelle (passe-droits, non-dits, promesses non tenues).
S’interroger sur les raisons de cette montée en épingle permettra des réajustements et éviter de prochaines déconvenues.
Proposer un bilan de compétence (un coaching ou un accompagnement thérapeutique) : Arguer de ne pas être expert en orientation professionnelle ou signifier notre sincère préoccupation et dériver vers un professionnel peut venir combler le besoin d’attention et aider la personne à trouver une place plus confortable pour elle.
Mettre fin à la relation : que ce soit dans un cadre professionnel ou personnel, il est important d’être vigilant au facteur « contamination » que ce trait peut revêtir. Mettre une distance ou rompre la relation est parfois la seule option saine à mettre en place.
Rôle du conditionnement social ?
Comment pourrait se construire psychiquement une personne que l’on aurait obligé à rester assise en silence, sans bouger et à écouter quelqu’un parler 8h d’affilées, 5 jours durant, pendant 15 ans…
L’école, focalisée et organisée encore aujourd’hui pour respecter un programme de connaissances, laisse souvent peu d'espace à l'écoute, la connaissance de Soi et la création de relation à l'Autre de qualité. L'obéissance, encore privilégiée à l'authenticité, frustre régulièrement le développement de l'esprit critique et force en retour, à devoir ancrer des réflexes de contenance et de dissimulation.
Avant d’être des sources d’incommodité, « le caprice », l’aigreur et l’amertume sont des signes extérieurs de souffrances. Le piège dans lequel le trait passif-agressif s’enferme régulièrement est de générer des réactions de rejet quand il appelle de ses vœux la reconnaissance aimante de l’Autre.
Plus nous accueillons et comprenons rapidement ces sources de négativité, moins leurs conséquences sociales prennent d’envergure.
Pour aller plus loin...
The construct validity of passive-aggressive personality disorder, C. Hopewwod, J. C. Markowitz, L. C. Morey, A. Pinto, 2009, Psychiatry interpersonal & biological processes.
Passive-aggressive personality disorder, A. Freeman, J. Pretzer, B. Fleming, K. M. Simon, 1990, clinical application of cognitive therapy, P291 – 304.
Les personnalités pathologiques, Q. Debray et D. Nollet, 2011, Elsevier Masson, P131 - 136
La semaine prochaine, nous parlerons du trait dit « schizoïde ».
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