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Photo du rédacteurArnaud Nouqué

Ignorance versus certitude ?

"Ignorance, idéologie, inertie" :


Réponse de la prix Nobel d'économie Esther Duflo à la question : "à quoi pensez-vous qu'est dû l'inefficacité des efforts pour résorber certaines inégalités ? Un enchaînement d'erreurs, d'incompétences, de corruptions ? "


"Sans doute un peu des trois dans certaines situations mais principalement ce que nous appelons entre économistes "les 3 i", le trio : 

ignorance, idéologie et inertie. 


C'est la combinaison que nous rencontrons le plus régulièrement sur le terrain" (entretien Thinkerview, 31/08/23).


À travers les différents exemples que l'économiste présente de part le monde, effectivement se retrouvent ces 3 mêmes ingrédients :


1) Un manque de compréhension globale de la situation observée.

2) Les croyances et idéologies comblent les vides laissés par la connaissance.

3) Une fois investis temps, argent et prosélytisme dans une voie, l'inertie rend très difficiles les retours en arrière, les ajustements et les aveux d'erreur.


Au regard de ce que nous savons aujourd'hui du fonctionnement cognitif, nous pourrions remplacer ces "3 i" par "les 3 c" : certitude, croyance et confirmation.


1) Certitude : Quel que soit le niveau de formation d'une personne, son statut, son parcours, il y a un rapport étroit entre intelligence et certitude : l'un empêche l'autre.


Logique en effet, dans un univers qualifié "d'infini", nos connaissances sont limitées. Pas notre ignorance.


Logique aussi que plus je suis certain de quelque chose et moins je passe de temps à le vérifier. Alors que dans la pratique, il arrive souvent qu'au fur et à mesure où nous découvrons un sujet, nous découvrons aussi des zones d’ombre qui gravitent encore autour de lui : 


"Plus je comprends et plus je prends la mesure de l'amplitude de ce que je ne sais pas." Socrates.


Au quotidien, on s'aperçoit souvent qu’un raisonnement certain, repose beaucoup sur l'habitude ("ça longtemps que c'est là") et quelques faits choisis, exemple : 


"Les gens sont de plus en plus individualistes et fainéants, ils ne pensent qu’à eux. À la moindre difficulté, ils quittent leurs familles, leurs mariages, leurs emplois."


Alors que dans les faits le nombre de création de TPE/PME augmente de près de 15% / an. Celui des associations est constant (72.000 / an) mais leur composition est en continuelle croissance (+2% / an). Notre génération connaît une explosion en termes de variété de “nouvelles” formes d’unions. 


De plus en plus de gens s'associent, se regroupent et s'unissent pour faire des choses ensemble...Change juste la forme qu'ils emploient pour le faire.


2) Croyance : quand on "gratte un peu", on s'aperçoit que si une personne focalise autant sur une certaine lecture, c’est parce que la certitude lui permet d'appuyer certaines croyances qu'elle a hérité de son parcours, de ses proches, de ses groupes d'appartenance.


Ces croyances sont nécessaires. Elles nous confortent dans l'explication de pourquoi et comment les choses sont ce qu'elles sont : fonctionnement des autres, du monde, de nous-mêmes. 


Elles sont si garantes de notre "santé mentale" que si nous les attaquons un peu trop “de front”, nous pouvons voir les personnes s’effondrer ou bien au contraire nous sauter à la gorge.


C'est d'ailleurs un repère facile à observer dans les réactions avec nos interlocuteurs : plus nous nous approchons d'une croyance, plus les réactions émotionnelles sont intenses. Plus la violence fait son apparition.


Savoir alors que tenter de convaincre est un piège aussi commun que stérile "je te dis que c'est comme ça !! Mais non !!!!". Au contraire, les “je ne partage pas ce point vue” ou “ce n’est pas l’expérience que j’ai de cela” suffisent souvent à amener plus posément le sujet.


3) L'attitude de croire par exemple que "les gens sont de plus en plus individualistes" amène ce que l'on appelle en science cognitive un "biais de confirmation" :


Collé à la tendance naturelle de notre mental d'élaborer des hypothèses, existe la recherche tout aussi permanente de valider ces théories en cherchant des éléments qui viennent les confirmer :


"Quand on voit ce qu'on voit et qu'on entend ce qu'on entend, on a bien raison de penser ce qu'on pense".


Et là de conclure par un éclaircissement : 


La capacité d'une personne à reconnaître son erreur ou juste la "subjectivité de son affirmation" à moins à voir avec son intelligence mentale qu'avec son équilibre affectif.


En effet et c'est d'ailleurs à appréhender sans cesse dans nos échanges avec les autres : 

Comme une croyance assure la stabilité de notre mental et que notre mental assure notre équilibre émotionnel, c'est souvent moins au niveau de la tête que se joue l'enjeu d'appréhender une erreur, sinon plutôt au niveau du cœur.


Reconnaître une erreur, c'est possiblement se retrouver débordé par nos émotions (peur, colère, tristesse) qui peuvent mettre en pagaille notre organisation mentale.


De plus, nos idées ne sont pas juste théoriques, mentales et distanciées, elles sont aussi affectivées : nous les aimons. 


D’une part bien sûr parce qu’elles nous protègent de la peur de l'inconnu, mais aussi et surtout parce qu'elles nous ont été transmises et nous les partageons avec des personnes importantes pour nous. 


On appelle cela “l’ipsédixitisme" : Penser que quelque chose est vrai parce qu'il nous a été transmis par quelqu'un en qui nous avons confiance.


Ce n'est jamais donc seulement reconnaître que J'AI fait une erreur, c'est aussi reconnaître que celui ou celle qui me l'a transmise et avec qui je la partage, se trompe aussi : ce qui revient à blesser un modèle.


Pour résumer et gagner en sérénité au quotidien :


1) "La certitude est une vanité de l'esprit" L.Tsé : pour calmer les certitudes, juste me rappeler qu’il y a beaucoup plus de choses que j’ignore que de choses que je connais. Me familiariser avec l'incertitude et le doute.


2) En ce qui concerne les croyances, la "pensée antagoniste" fonctionne bien : pour chaque idée qui me semble bonne, tenter de voir son opposé, sa contradiction, ses aspects négatifs.


3) Nous avons physiquement, intellectuellement, émotionellement besoin de confirmer ce que nous pensons, d'avoir raison : “stabiliser notre maison psychique".


Par contre, pour notre psychisme comme pour notre maison, quand l’édifice commence à bringuebaler, ça a du bon de revoir la cohérence des matériaux, les agencements, la "durabilité" de l'édifice.


Pour finir une question : D’après vous, quel chemin est le plus difficile ? Sortir de l’ignorance ou lâcher des certitudes ?

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